lundi 28 janvier 2013

Michael Miksche

Célèbre photo anonyme de 1945 (peut-être même avant),  ce cliché appartient dès 1946 à la collection Kinsey.


Il rappelle d'autres images anonymes, probablement de la même époque:

.




Oubliée pendant des années, cette photo a connu un subit regain de célébrité, sous sa forme tronquée, sans le bas, durant la campagne Read My Lips d'Act Up en 1988. C'est alors que, la voyant pour la première fois, l'un des marins qui l'avaient posée écrivit à l'association: "Les marins c'était mon petit ami et moi. Nous étions en permission à San Diego et un photographe nous demanda si nous voulions poser. Une fois arrivés à son studio nous nous sommes un peu emportés; je ne pensais pas que quelqu'un verrait jamais ces photos [il y en avait donc plusieurs]. Je ne l'avais jamais vu moi-même avant de la voir reproduite sur un T-shirt. Je voulais juste vous faire savoir que je suis fier d'avoir fait quelque chose qui puisse venir en aide à d'autres gays."

L'identité du photographe n'est donc toujours pas établie, mais curieusement, cette photo inconnue jusque dans les années 80 a servi de base à une peinture de Mike Miksche, réalisée dès 1950 et donnée à la collection Kinsey en 1955


Cette même collection possède d'ailleurs deux œuvres de Miksche particulièrement étonnantes en ce qu'elle sortent de son style habituel


autoportrait?

et que ce dessin est même signé de son vrai nom, que Miksche, d'ascendance tchèque, publicitaire de mode réputé (il travaillait comme Leyendecker à la promotion de lignes de vêtements masculins dans divers grands magasins) n'utilisa jamais pour ses œuvres érotiques, y substituant le pseudonyme Steve Masters (pour les initiales SM)


Selon Glenway Wescott (1901-1987) :  C'était un genre de géant à la Paul Bunyan [le légendaire bûcheron canadien, sorte d'Hercule nord américain]. Engagé vers sa 20è année, il s'était retrouvé à la tête d'une flotte de 4 à cinq bombardiers, responsable de deux vols par nuit au-dessus de Berlin. A cet âge il n'avait pas encore d'inclination homosexuelle et peut d'expérience avec les femmes. Un des membres de son équipage tomba amoureux de lui et le lui avoua: "C'est n'importe quoi, dit Mike, je ne vais pas te dénoncer. On sera juste copains et on n'en reparlera plus. Il avait ce côté sadique et tyrannique d'un point de vue psychologique. Il voulait dominer tout le monde, c'était sa nature. Il dit à ce garçon qu'il fallait se calmer que c'était une relation idéale, platonique et qu'ils auraient une histoire d'amour sans sexe. Deux ou trois jours après, le jeune homme ouvrit la porte de l'avion en plain vol et se jeta dans le Rhin. Et Michael était hors de lui. je crois qu'il est revenu de la guerre avec ce sentiment de culpabilité et de frustration parce qu'il avait laissé passer l'occasion de finir au lit avec ce garçon".


   Mike Miksche, photographié par Platt-Lynes en 1952


C'est néanmoins Wescott qui recommanda Miksche à Kinsey lorsqu'il le docteur voulut filmer des hommes engagées dans des pratiques sado-masochistes. Le partenaire choisi était Samuel Steward: et Wescott (qui était effrayé par la liberté de moeurs et l'auto-dégradation volontaire de Steward qu'il ne connut que tardivement) de poursuivre : "Il a fait de nombreux films avec Mishke, un ou deux que j'ai vus mais la plupart que je n'ai pas voulu voir. Michael était un formidable acteur, il était tellement exhibitionniste".

Wescott avait prévenu Kinsey que "la plupart des jeunes masochistes avaient peur de lui. Ils pensent qu'il finira par tuer quelqu'un. Il avait, peu avant laissé un de ses amants avec plusieurs côtes cassées.

Dans Pages d'une auto-biographie Steward écrit:
[Kinsey] me demanda de prendre l'avion de Chicago et fit venir de New-York un "maître" effrayant par sa grande taille et son air mauvais, Mike Miksche, le cheveu en brosse et une personnalité incroyable. Il allait filmer notre rencontre... Ce fut une drôle d'expérience, pendant deux après-midi à Bloomington {la résidence privée de Kinsey], la caméra tourna. Kinsey avait préparé Mike en lui faisant boire une demi bouteille de gin -un avantage pour lui mais pas pour moi, puisque j'avais cessé de boire et ne pouvais le suivre dans sa joyeuse euphorie. Assis sous un pommier dans le jardin de Kinsey avant que les festivités ne commencent, la perversité et le désir me firent fixer les bottes anglaises marron de Miksche, lacées vers le haut. Je tirai sur le nœud des lacets en lui disant : "Bah, tu ne m'as pas l'air si dur que ça".
C'était évidemment une provocation délibérée, pour laquelle je dus payer le prix fort, encore et toujours durant les deux après-midi qui suivirent. Mike endossait facilement le rôle, chaque fois qu'il entendait démarrer la caméra de Bill Dellenback, sa vigueur se renouvelait...

Mike Miksche par William Dellenback peinture de lumière

A la fin des deux jours, j'étais épuisé, marqué et comateux, tous les muscles en capilotade. Pendant les sessions je n'avais que vaguement conscience des gens qui passaient pour observer de temps en temps, tandis que Mme Kinsey, en vraie scientifique, assistait aux débats, changeant calmement les draps sur le banc de travail.
A la fin de la dernière séquence, alors que je m'étais presque décroché la mâchoire et que je ne pouvais presque plus fermer la bouche, encore moins tenir une cigarette entre mes lèvres, Miksche, subitement furieux me gifla sauvagement d'un allez-retour en me disant que j'étais le plus ridicule suceur de bite qu'il avait jamais rencontré... Plus tard, ce soir-là, Kinsey nous avaient laissé Mike et moi dans deux coins séparés de sa bibliothèque pour lire un peu, quand soudain Mike apparut, les yeux en feu, excité jusqu'à la sauvagerie -après s'être stimulé par la lecture des dactylographes de quelques histoires s/m- et me viola de nouveau sur le sol de ciment froid de la bibliothèque.
Quand Kinsey l'apprit, il commenta en riant: "J'espère que les volets étaient fermés".
 Samuel Steward light painting
 Plus tard Miksche confirma les théories de Theodore Reik, Wilhelm Stekel, et Kinsey lui-même selon lesquelles les sadiques étaient peut-être moins équilibrés que les masochistes, puisque Mike, -après avoir tenté de se réformer en se mariant, et échouant- sauta dans l'Hudson River, [fut sauvé] et finit par se suicider."

Curieusement Steward ne semble pas avoir eu connaissance des dessins de Miksche, quoique ce dernier en donna un certain nombre à la fondation Kinsey, en plus de quelques cartons publiés dans BIG


 

 C'est à vrai-dire tout ce qu'il en reste, car la femme de Miksche trouva son atelier après sa mort, et s'empressa de détruire tout ce qui lui tomba sous la main.


1958










 







1961 Land's end




Two jack on one 1965


 

 




On sait encore que fin  59 Steward fit visiter la fondation Kinsey à Chuck Renslow et Dom Orejudos, et que leur furent projetés à cette occasion Un chant d'Amour de Genet et le film avec Miksche. Depuis, il ne semble plus en avoir été question : une note de Secret historian, la biographie de Steward par Justin Spring affirme que ce film existe toujours dans les archives de la fondation Kinsey, mais que la projection de tout matériel filmé à caractère sexuel reste fermée, même aux chercheurs.


vendredi 25 janvier 2013

samuel steward


Samuel Steward aka Phil Andros


Il se pourrait que Samuel Stewart me pousse à sortir un peu du sujet; on m'en excusera, son oeuvre est si méconnue que ce billet a pris du ventre...

Sam Steward a dessiné toute sa vie des marins, il en a même tatoué un certain nombres lorsqu'il quitta son poste de professeur d'université pour s'établir tatoueur, sous le nom de Phil Sparrow. Sous le pseudonyme de Phil Andros, il devint un auteur à succès de la littérature érotique, ce qui ne l'empêcha pas non plus de publier dans des magazines de photographies et de dessins érotiques, dont le célèbre Der Kreis.














Artiste pour le moins éclectique et singulier il s'illustra dans tous les genres:
Le nu d'atelier (rhabillé à la mode de l’époque 1951, académie de Chicago)




les copies (ci-dessous, deux hommes sur la plage de Cadmus)


adaptation de dessins de Cocteau (qui ne traita jamais directement ce thème précis)




des portraits, parfois classiques, comme celui de Jean Renard


 souvent moins

 


du fantastique


 du symbolique


 des travaux plus marginaux
 

Nombre de dessins érotiques, parfois restés à l’état d’études

carnet d'esquisse







parfois merveilleusement achevés




 


parfois plus utilitaires, organisés en suite comme les comics de ses contemporains:

Bikers


 


extraits des séries de toons signées Thor





sujets plus proches de Tom of Finland et Etienne, flics et marins



Ce dernier dessin inspiré du polaroid mis en scène dans l'appartement de Steward était peut-être destiné à illustrer une édition anglaise de Querelle de Brest, roman dont Steward a fait une traduction.


L'exemplaire original de Querelle que Stewart acheta à prix d'or à Paris.


 Phil Andros

Le génie de Sam Steward tient au fait qu'à travers ses diverses identités, il a réussi à bâtir une œuvre d'art unique: sa vie. 


En tant que Samuel M. Steward, il écrivit dès 1930 un livre de nouvelles Pan et l'oiseau de feu, auquel succéda en 1936 Les Anges sur la branche, qui lui valut en même temps qu'un succès critique son renvoi de l'université de Washington (par suite du portrait trop sympathique d'une prostituée). Il enseigna l'anglais à Loyola (Chicago) et DePaul university.

Dès 1949, Steward rencontra le Dr Kinsey dont il devint le collaborateur non-officiel, familiarisant le célèbre médecin avec les pratiques homosexuelles sado-masochistes de la communauté gay (Steward collectionna toute sa vie divers instruments de correction.). On dit que c'est sur l'encouragement de Kinsey que Steward commença à documenter sa vie sexuelle, par le récit de Mémoires autobiographiques mais surtout par la constitution quasi maniaque d'un fichier, les Stud-files (Dossier étalon, en quelque sorte) comprenant 746 cartes à l'imitation d'un fichier de bibliothèque documentant toutes les rencontres sexuelles qu'il fit pendant une cinquantaine d'années, des plus brèves aux plus développées et aux plus spécialisées.

 
 cartoon d'Eric

 



On y voit voisiner des anonymes, tel Marin aux yeux bleus, Prêtre, mais aussi sous leurs véritables noms, Lord Alfred Douglas, Rock Hudson (dans un ascenseur qu'ils bloquèrent entre deux étages)


Rudolphe Valentino (que Steward rencontre à l'âge de 17 ans, un mois avant sa mort et dont il obtint, en plus de faveurs appuyées une touffe de poils pubiens qu'il conserva sur sa table de nuit dans une sorte d'ostensoir-reliquaire).





Certaines cartes du fichier sont illustrées, d'autres comprennent des échantillons...

Carte (postale?): faut-il comprendre, au verso que le portrait a été peint avec de la gouache mélangée au sperme du modèle?


Steward avait, pour son fichier, établi un système de codes (qui rappelle celui de Mizer décrivant par des pictogrammes les particularités sexuelles de ses modèles): des lettres décrivant la forme du sexe, L pour“Long,” Tk pour “Thick,”(épais) C pour “Circumsized,” Cl pour “Clean,”(propre) B for “Bent,”(courbé), H for “Huge,”(énorme) B for “Beautifully shaped”(belle forme), des chiffres pour les modes d'action 5  Pisse, 6 Crachat 13 Fouets, 96 Rimming, 88 Amour et baisers, 100 Jackpot...

 détails des paiements faits aux prostitués


Certaines cartes détaillent avec humour les conditions de l'action: l'une en juin 51 fait état d'un contrat avec un de ses étudiants à DePaul dans lequel Steward promettant cinq A consécutifs pour cinq pipes à partir de de décembre, avec un rab en juin et juillet.

 

A la fin de chaque année Steward établissait des statistiques et des graphiques pour comparer les fréquences et la nature des rapports avec celles des années précédentes.

Vers le début des années 60 (d'abord au Danemark puis en 66 aux Etats-unis après assouplissement des lois de censure) Steward publie sous le pseudonyme de Phil Andros de nombreux romans explicitement sexuels, mettant en scène à la première personne son personnage du même nom, un prostitué de Chicago. Il ne touche que peu d'agent et les rééditions apparaissent parfois sous d'autres pseudonymes (sans qu'il soit payé sans doute). Aujourd'hui les éditions originales peuvent atteindre plus de 400 dollars. Dans les années 80 ses anciennes Pulp Fiction sont rééditées avec des couvertures de Tom of Finland par Perineum Press. Ils se vendent toujours très bien.
L'exemplaire en ma possession des Gars en Bleu



Liste des titres crédités à Phil Andros
 

  • The Motorcyclist (1953)
  • $tud (1966)
  • The Joy Spot (1969)
  • My Brother, the Hustler (1970; later published as My Brother, My Self)
  • San Francisco Hustler (1970; later published as The Boys in Blue)
  • When in Rome (1971; later published as Roman Conquests)
  • Renegade Hustler (1972; later published as Shuttlecock)
  • Below the Belt and Other Stories (1975)
  • The Greek Way (1975; later published as Greek Ways)
  • Different Strokes: Stories (1984)


et des textes tardifs de Samuel Steward
  • Dear Sammy: Letters from Gertrude Stein and Alice B. Toklas (1977, ed.)
  • Parisian Lives (1984; novel)
  • Chapters from an autobiography (1981; memoir)
  • Murder Is Murder Is Murder (1985; Gertrude Stein-Alice B. Toklas Mystery)
  • The Caravaggio Shawl (1989; Gertrude Stein-Alice B. Toklas Mystery)
  • Bad Boys and Tough Tattoos: a Social History of the Tattoo with Gangs, Sailors, and Street-Corner Punks, 1950-1965 (1990)
  • Understanding the Male Hustler (1991)
  • Pair of Roses (1993)
 Ses poèmes demeurent plus difficiles à dénicher:

Sonnet to the Making of a Saint

Sleep well, my lad. Be sure no terrors lie
Within this cup of night, save only those
Your bright inventive mind creates as foe;
Go virgin to your bed; with wary eye
Distrust my gesture, and suspect my sigh.
You see in all my honest words a pose,
My friendship but a mask for lust - who knows?
You may be more aware of truth than I.

Pull tight the cover to your virtuous cheek,
Lie straight and true, with thighs so closely pressed,
Look upward, to a heaven far from Greek,
And cross your hands across your untouched chest.
So let your marble rot and turn to dust,
And let the mourners worship if they must.
 Phil Andros publia aussi sous les noms de Ward Stames, Thomas Cave, Philip von Chicago, Sammy:.

Autres documents dont Steward gratifia parfois Kinsey, sa collection de Polaroïds, certains purement documentaires, d'autres dont la valeur artistique est souvent étonnante:



 




  










 Platt-Lynes paraît avoir pratiqué lui aussi le polaroid pour des photos plus intimes que son travail publié:




 Platt-Lynes Erect 1952


Le photographe Sam Stewart au travail




Phil Sparrow

C'est à partir de 1952, avant même de renoncer plus ou moins volontairement à son travail d'enseignement que Steward décide d'ouvrir une boutique de tatoueur. Il devine que cette activité lui permettra de se mettre en contact avec le type de gibier qu'il recherche particulièrement, rough trade, street trade et marins.
Hustler (remarquez la clé)


Calques originaux des motifs de tatouages







 



 

 L'annonce du tatoueur parée d'un timbre promettant des réductions aux personnels de l'US Navy

La carte de sa seconde boutique à Oakland, proche du camp de la Navy à Great Lakes. Prenant soin de ses clients, Spattow avait fait afficher un graphique des horraires des trains pour rentrer au camp à l'heure... ou pas du tout.
 Marine marchande
 

 

marins dans la boutique de Steward-Sparrow



 l'artiste à l'oeuvre sur des marins

et quelques études documentaires...



 

Au fait, -on l'aura compris- cet homme me fascine, et encore n'ai-je guère parlé de ses livres...
Etre un génie, c'est trouver la possibilité en soi de parvenir au meilleur de ce qui nous constitue, à une intimité livrée au tout venant, dans son unicité, une destinée accomplie et solitaire sans doute, sans coeur, mais sans compromis:



“Years ago, I had removed my heart from its matrix, and carefully cemented the hollow chamber where it had pulsed. It was an empty room, a lonely room untended, with never a visitor. I inspected it regularly; there was no entrance possible.”