mercredi 2 mai 2018

Jacques Vierne et les fusillés pour l'exemple de 14-18



dernière photo de Jacques Charles Vierne

Le 2 juin 1937, à l’issue de son dernier concert officiel à Notre Dame de Paris, Louis Vierne, 67 ans, meurt d'une embolie cardiaque aux claviers de son orgue. Il vient d'y jouer son Triptyque op 58, dont le dernier volet, suprême ironie, se nomme Stèle pour un enfant défunt.



L'aîné des enfants de Vierne s'était éteint en 1913, de la tuberclose. Le 11 novembre 1917, le fils de Louis Vierne est tué au combat à l’âge de 17 ans. C'est du moins ce que prétendent les autorités militaires.

Après son divorce en 1909, Louis Vierne avait obtenu ma garde de son fils Jacques.
Presque aveugle de naissance, ayant subi une opération plus ou moins réussie dès l'âge de 7 ans, Louis Vierne est entré en janvier 1916 au sanatorium de Lausanne, convaincu de subir plusieurs interventions chirurgicales dont glaucome et cataracte, qui le plongèrent dans une obscurité absolue jusqu'en août 1918.

La cécité ne l'empêche pas d'entreprendre à l'automne 1916 un Poème des cloches funèbres pour piano dont seul le manuscrit de la deuxième partie sera retrouvée à la fin du 20è siècle, Le Glas, composé le 25 décembre 1916, dédié  « à la mémoire de mon ami Alphonse Franc »


Son fils, encore mineur l'âge officiel de la conscription est de 20 ans depuis 1913 et sera abaissé lors de la dernière année de guerre), lui demande de lui permettre de s'engager (la signature du père était obligatoire pour devancer l'appel.) Après avoir consulté des amis et s'être mis en rapport avec le consul de France, Louis Vierne accepte et son fils part le 10 mai 1917 pour un court stage d'incorporation. En novembre 1917, Louis Vierne apprend sa mort, et
entreprend une partition en son hommage. Durant son élaboration, en février 1918 à Lausanne, il écrit : « J’édifie, en ex-voto, un quintette de vastes proportions dans lequel circulera largement le souffle de ma tendresse […] Je mènerai cette œuvre à bout avec une énergie aussi farouche et furieuse que ma douleur est terrible […] Celui qui a souffert toute douleur […] est peut-être capable de soulager et de consoler les souffrances des autres – tel est le rôle de l’artiste… »


Le , Louis Vierne écrit à son ami Maurice Blazy :
« Dire mon état d'âme à présent est superflu, n'est-ce pas ? La vie n'a plus pour moi aucun sens matériel. Sans but et sans intérêt, elle ne serait qu'une dérision si je n'avais la volonté de réagir dans un autre sens et de consacrer la fin de mon existence à une tâche tout idéale. J'ai dit adieu pour jamais à toute ambition de gloire passagère et renoncé à cette vaine agitation extérieure qu'on appelle lutte pour la vie, pour me donner seulement à la production.
J'édifie, en ex-voto, un Quintette de vastes proportions dans lequel circulera largement le souffle de ma tendresse et la tragique destinée de mon enfant. Je mènerai cette œuvre à bout avec une énergie aussi farouche et furieuse que ma douleur est terrible et je ferai quelque chose de puissant, de grandiose et de fort, qui remuera au fond du cœur des pères les fibres les plus profondes de l'amour d'un fils mort… Moi, le dernier de mon nom, je l'enterrerai dans un rugissement de tonnerre et non dans un bêlement plaintif de mouton résigné et béat. »



Ce Quintette est en effet une œuvre grandiose, un chef-d’œuvre incontestable de la musique de chambre française. En tête de sa partition, l’inscription : « En Ex-Voto, à la mémoire de mon cher fils Jacques, mort pour la France à 17 ans ».

Mort pour la France ? En faisant le planton ? Le 11 novembre ? Le 12 ? Les rares documents subsistants permettent de constater que rien ne colle dans cette histoire. Mieux encore la fiche MDH mentionne entre parenthèses le motif suicide :


L'acte de décès mentionne une heure, sans qu'on puisse savoir s'il s'agit de celle du décès ou de la constatation, sur la déclaration d'un officier supérieur...



Le calvaire de Louis Vierne se poursuit : son frère cadet, René, organiste, hautboïste, compositeur (et transcripteur de certaines œuvres de son frère aveugle) meurt le 29 mai 1918, à huit heures du matin, sur le plateau de Branscourt (Marne), à l'âge de 40 ans tué par un éclat d’obus autrichien. Son frère n’apprendra sa mort qu’un mois plus tard. (Diverses sources signalent d'ailleurs la date de décès de René Vierne comme remontant au 28 août 18). Louis Vierne dédie à sa mémoire Solitude.

René Vierne

En 1931, Louis Vierne met en musique la Ballade du désespéré d'Henry Murger dont voici la fin :
— Ouvre-moi : je suis la puissance,
J’ai la pourpre. — Vœux superflus !
Peux-tu me rendre l’existence
De ceux qui ne reviendront plus ?

— Si tu ne veux ouvrir ta porte
Qu’au voyageur qui dit son nom,
Je suis la mort : ouvre, j’apporte
Pour tous les maux la guérison.
 
Tu peux entendre à ma ceinture
Sonner les clés des noirs caveaux ;
J’abriterai ta sépulture
De l’insulte des animaux.
 
— Entre chez moi, maigre étrangère,
Et pardonne à ma pauvreté.
C’est le foyer de la misère
Qui t’offre l’hospitalité.
 
Entre : je suis las de la vie,
Qui pour moi n’a plus d’avenir.
J’avais depuis longtemps l’envie,
Non le courage de mourir.
 
Entre sous mon toit, bois et mange,
Dors, et quand tu t’éveilleras,
Pour payer ton écot, cher ange,
Dans tes bras tu m’emporteras.
Je t’attendais ; je veux te suivre.
Où tu m’emmèneras, j’irai ;
Mais laisse mon pauvre chien vivre,
Pour que je puisse être pleuré !

Vierne, accablé de deuils, pouvait-il se douter que son fils, engagé volontaire, avait sans doute été fusillé pour l'exemple, ou plus probablement encore, exécuté sommairement par un officier pour refus d'obéissance, comme tant d'autres que la base officielle des fusillés de la première guerre mondiale qui n'en recense que 1009 (620 pour désobéissance militaire) a oubliés.

Cette pratique, forcément tenue semi cachée -surtout aux dépends d'un mineur- était encouragée par le
Règlement sur le service en campagne. Promulgué le 2 décembre 1913 sous la signature de Raymond Poincaré, Président de la République, il mentionne dans son article 121 : « Les officiers et les sous-officiers ont le devoir de s'employer avec énergie au maintien de la discipline et de retenir à leur place, par tous les moyens, les militaires sous leurs ordres, au besoin, ils forcent leur obéissance ». Même si le mot "exécution sommaire" n'est pas prononcé, le sens de la phrase ne laisse planer aucun doute.
Ce chiffre de 612 fusillés ne prend pas en compte les exécutions sommaires. Celles-ci sont relatées dans les carnets de guerre des soldats. Ainsi les Mémoires d’un troupier d’Honoré Coudray du 11e bataillon de chasseurs alpins explicite les exécutions sommaires auxquelles il dit avoir assisté :
  • En juillet 1916, un chasseur est accusé de dévaliser les morts ; blessé par les artilleurs, il est abattu par son commandant. Coudray commente « le taré P... a trouvé un moyen rapide de suppléer au conseil de guerre... aucun interrogatoire, aucune enquête ». Pour masquer son crime, le commandant inscrit la victime dans la liste des morts au champ d’honneur ;
  • En octobre 1916, un jeune chasseur de la classe 1915, paniqué, fuit le front pendant un bombardement. Le commandant le convoque : « monte sur le parapet », le commandant le suit et le tue d’une balle dans la tête.
Outre les informations apportées par Honoré Coudray, ses convictions (fervent partisan de l’ordre, il reproche aux mutins de 1917 leur attitude de rébellion) montrent que la critique des exactions de cet officier n’est pas liée à un parti pris contestataire.

La torture comme thérapie


La plupart des informations suivantes proviennent de Wikipédia (source que les descendants des coupables, nos politiques, critiqueront comme non fiable). Consacrer ces quelques lignes à l'horreur des exécutions sommaires des français par l'armée française, constitue ma façon de fêter le centenaire de l'armistice et de protester contre le projet abominable du gouvernement Macron de rétablir le service militaire obligatoire, moyen d'abrutir les masses et de les faire entrer dans la délinquance ordinaire). Quote WIkipedia

Pendant la Première Guerre mondiale, en France, 2 400 poilus auront été condamnés à mort et environ 600 fusillés pour l’exemple, les autres voyant leur peine commuée en travaux forcés. Ces condamnations ont été prononcées pour refus d’obéissance, mutilations volontaires (laisser sa main traîner au-dessus de la tranchée était passible du conseil de guerre), désertion, abandon de poste devant l’ennemi (prétexte à des condamnations totalement arbitraires notamment lorsque les généraux n’étaient pas satisfaits d’un repli de troupes), délit de lâcheté (voire au sujet des définitions potentielles de ce délit Le pantalon d'Yves Boisset) ou mutinerie.


En revanche, les militaires abattus pour refus d'obéissance, ou "exécutions sommaires", qui sont liées à des refus d'ordres, par exemple : refus d'aller au combat, ou même prostration (syndrôme d'obusite, shellschock), peur, ce qui était assimilé à un retrait face à l'ennemi sont bien plus nombreuses, et quand les détails sont connus, les historiens doivent attendre souvent plus de 100 ans après la fin du conflit pour consulter les rares archives, car souvent, ces exécutés sont marqués morts au combat, ou morts au champ d'honneur.

Notons que -fait encore moins connu- les autorités militaires, et leurs complices médecins n'ont pas hésité à utiliser la torture à grande échelle contre ceux qu'ils considéraient comme des simulateurs.



Certains neuro-psychiatres militaires de l'époque jugent que les pithiatiques étant des hystériques, ils sont « fonctionnels » et curables par contre-suggestion. Ces neuro-psychiatres ont rapidement mis au point de nouveaux traitements et inventions consistant par exemple à emprisonner les personnes recourbées dans des carcans redresseurs ou à soumettre les pithiatiques à un « traitement faradique » ou « torpillage électriques ». Ce traitement était en France par exemple appliqué par le Service de santé des armées au fort de Saint-André à Salins au-dessus de la vallée du Doubs dans le Jura, avec un « centre d'entraînement » pouvant accueillir jusqu'à environ 200 pithiatiques guéris. Aucun effet positif n'a été démontré à moyen terme ; les soldats ayant momentanément surmonté leurs symptômes voyaient leurs contractures revenir.


Plusieurs des malades de ce centre ayant refusé ce traitement, ils sont d'abord mis en isolement plusieurs jours, sont ensuite qualifiés d'« hystériques invétérés » puis dénoncés par le Dr Gustave Roussy chargé depuis décembre 1916 d'organiser un centre neurologique pour redresser les « pitiatiques », et faire marcher les paralysés. En janvier 1917 il s'installe dans l'hôpital complémentaire N°42 au fort de Salins dans le Jura en tant que médecin-chef de la station neurologique de Salins, il y met en place la « méthode brusque » autrement nommée « torpillage électrique ». Sur le plan formel, sa méthode est plus respectueuse de la souffrance des malades que celle pratiquée peu de temps auparavant à Tours par son collègue Clovis Vincent ; dans les faits il en est tout autrement. Au fort de Salins il met en place des cellules de prison où il envoie en « isolement de rigueur » les sujets indociles qui ne veulent pas se soumettre à ses « traitements chocs ». Au fort, il dénonce des malades qui refusent de se soumettre encore une fois à la torture électrique : ils passeront devant le conseil de guerre en janvier 1918, pour refus d'obéissance.


Dans son discours du 5 novembre 1998 à Craonne, à l’occasion du 80e anniversaire de l’armistice de 1918, le Premier ministre de l’époque Lionel Jospin a souhaité que les soldats « fusillés pour l’exemple » réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale ». Dans le contexte de cohabitation, cette initiative fut critiquée par le président de la République Jacques Chirac -il a perdu la tête depuis- et plusieurs représentants de la droite française, dont Philippe Séguin -celui-là est mort, grand bien lui fasse- et Nicolas Sarkozy -on attend toujours son incarcération.

Le 20 décembre 2012, des sénateurs communistes ont déposé une proposition de loi relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918 comportant un article unique ainsi rédigé : Les « fusillés pour l’exemple » de la première guerre mondiale font l’objet d’une réhabilitation générale et collective et, en conséquence, la Nation exprime officiellement sa demande de pardon à leurs familles et à la population du pays tout entier. Leurs noms sont portés sur les monuments aux morts de la guerre de 14-18 et la mention « mort pour la France » leur est accordée. Les deux assemblées ont naturellement rejeté ce texte, sous des prétextes fallacieux, afin sans doute qu'on ne salisse pas la mémoire des responsables de ces crimes de guerre.

En 2013, l'historien Antoine Prost remet un rapport au ministre délégué aux anciens combattants, Kader Arif. Le chef de l'État François Hollande devait s'appuyer sur ce document afin de prendre une décision, mais il ne semble pas avoir décidé. peut-être a-t-il bien fait, car ce rapport préconisait de 'tourner la page".

Or, ce n'est pas "tourner la page" que le peuple demande.



Communiqué de la FNLP:

Une nouvelle fois, après l’anniversaire de la Bataille de Verdun, le fossoyeur de la Justice pour les Fusillés pour l’exemple de la Guerre de 1914-1918 a commis son forfait de silence pour le 100éme anniversaire du déclenchement de la Bataille de la Somme. Messieurs Hollande, Valls et leur gouvernement se sont faits derechef les complices des assassins.

Chaque cérémonie apporte un peu plus dans l’ignoble. Voici ce que rapporte le Courrier Picard du 3 juillet 2016 :  "Couac à Fricourt ce vendredi 1er juillet. Si les 600 à 700 participants retiendront une belle cérémonie hommage aux Allemands, en coulisses les rouages étaient grippés. Le secrétaire d’État Jean-Marc Todeschini a refusé que soit entonnée la Chanson de Craonne, appel à la grève des soldats contre  ''Tous ces gros qui font la foire (…) feraient mieux de monter aux tranchées pour défendre leur bien, car nous n’avons rien''  .
Il est sûr que chanter cette chanson qui dit à la fin :

"Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront,
Car c'est pour eux qu'on crève.
Mais c'est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s'ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l'plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau !" 

Ces propos restent plus que jamais valables au moment où la société française se voit engagée par ses nouveaux dirigeants, les représentants des riches et des libéraux fascisants, dans un mouvement de militarisation outrancier et de maintien de l'ordre, fabriquant de nouveaux estropiés et de nouveaux morts. 
Ce que veut le peuple aujourd'hui, à défaut des têtes des politiques au bout des piques, et de la condamnation de l'état pour faute impardonnable et crime contre l"humanité, ce sont des excuses solennelles et la réhabilitation des milliers de morts pour rien.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire